Dans le cadre du projet de recherche-action Juristes mobiles, six nouveaux services ont été mis en place, dont la moitié vise spécifiquement à rejoindre des populations vivant dans des régions éloignées des grands centres urbains. Pourquoi cet effort de se déplacer vers les personnes est-il pertinent ? Comment cela peut-il améliorer l’accès à la justice? En quoi cela complète-t-il bien l’offre de services existante des CJP? Ces questions ont été au cœur d’une rencontre enrichissante entre l’équipe du projet Juristes mobiles et le professeur Ab Currie, Ph. D., chercheur associé au Forum canadien sur la justice civile et familiale dont les travaux soulignent l’importance de rapprocher les services juridiques des communautés.
Le déplacement, un obstacle majeur à l’accès à la justice
Les nombreuses consultations menées à l’hiver 2025 auprès de divers organismes communautaires et institutionnels par l’équipe de Juristes mobiles confirment que le déplacement constitue l’un des obstacles les plus fréquemment mentionnés en matière d’accès à la justice. Même dans une grande ville comme Montréal, certaines zones demeurent difficilement accessibles notamment puisqu’elles sont mal desservies par les transports en commun. En région, la situation est souvent encore plus complexe.
L’éloignement géographique des services peut engendrer un stress important, surtout pour les personnes qui n’ont pas accès à une voiture ou dont le véhicule est en mauvais état. Même lorsque le transport en commun est disponible, il présente lui aussi des défis importants : horaires restreints, correspondances compliquées, manque d’accessibilité. Ces facteurs peuvent contribuent à complexifier l’accès à des services juridiques et dissuader certaines personnes de poursuivre leurs démarches.
S’inspirer d’une initiative concrète : le cas de la Rural Law Van en Ontario
L’expérience du projet Rural Law Van, mis en œuvre en Ontario par The Legal Clinic of Guelph and Wellington County, constitue un exemple inspirant en matière de services juridiques mobiles. Le professeur Ab Currie, que l’équipe de Juristes mobiles a rencontré le 11 juin 2025, a documenté cette initiative depuis ses débuts.
En 2019, à la lumière des dossiers d’admission qui révélaient que la majorité des client·es provenaient du milieu urbain où était située la clinique, The Legal Clinic of Guelph and Wellington County a décidé de mettre en place une camionnette juridique mobile pour se rendre en régions plus éloignées.
Le projet pilote, d’une durée de six mois, a permis à la camionnette de se rendre régulièrement dans 12 communautés rurales. Après une pause d’un an, durant laquelle un financement à plus long terme a été obtenu, la clinique de Guelph s’est associée à Halton Community Legal Services pour mettre en œuvre un projet de trois ans (2021 à 2024). Durant cette période, la Rural Law Van circulait environ six mois pendant l’été, tandis qu’en hiver, des points de services fixes étaient aménagés dans les mêmes villes, notamment dans des bibliothèques, des églises et des organismes communautaires.
Rejoindre les gens pour la première fois
La camionnette s’installait dans des lieux très visibles au cœur des villes, avec une pancarte bien en évidence offrant de l’« aide juridique gratuite ». Aucun critère d’admissibilité financière ou de couverture ne restreignait l’accès. Les gens venaient parce qu’ils avaient un problème, sans toujours savoir si celui-ci comportait un aspect juridique.
Lors de la première année, environ 85 % des personnes rencontrées déclaraient n’avoir jamais eu de contact avec une clinique juridique communautaire auparavant. Selon le professeur Currie, ce chiffre suggère que beaucoup d’entre elles cherchaient, pour la première fois, une aide juridique fiable. Comme on pouvait s’y attendre, cette proportion a diminué à environ 65 % au fil des ans, à mesure que la Rural Law Van s’est imposée comme une présence reconnue dans les communautés, un lieu de confiance où aller chercher de l’aide.
Or, même après quatre ans, la majorité des personnes demandant de l’aide n’avaient encore jamais eu accès à une ressource juridique auparavant.
Ce constat illustre la portée unique d’un service mobile et itinérant, capable de rejoindre des personnes qui, autrement, ne se rendraient pas spontanément vers les services existants. Le simple fait de rapprocher les services juridiques des milieux de vie, en éliminant les obstacles liés au déplacement, permet d’ouvrir l’accès à des publics jusqu’alors exclus de l’écosystème.
Des approches inspirantes ici et ailleurs
L’approche d’“aller vers les gens” n’est pas nouvelle. Ailleurs dans le monde et même ici au Canada des organismes communautaires juridique comme The Legal Clinic of Guelph and Weelington County ont mis en place des initiatives mobiles. En voici quelques exemples:
- Le programme Grand Nord de Justice Pro bono, dans le cadre duquel des avocat.es et des notaires se déplacent en avion plusieurs fois par année pour aller offrir des cliniques juridiques au Nunavik;
- Le Bus Barreau de la Paris Solidarité qui se déplace pour « aller vers » les personnes en situation d’isolement à Paris.
- Le projet Making Waves à Vancouver qui utilise un bateau pour rejoindre les communautés rurales et autochtones de la côte centrale de la Colombie-Britanique.
Inspirés par ces initiatives et par la Rural Law Van, Juristes mobiles prendra la route dans les prochains mois pour desservir les MRC de Bécancour, des Etchemins et d’Acton. Grâce à des partenariats clés avec des organismes bien enracinés dans leur communauté, les résident·es de ces territoires auront accès, sur place, à des avocates offrant des services juridiques de proximité.
Une offre de services complémentaire
Les Juristes mobiles proposeront des consultations juridiques de première ligne, de l’information sur les droits et recours, ainsi qu’un accompagnement dans diverses démarches juridiques ou administratives. En se déployant dans des territoires où les services sont peu présents ou difficiles d’accès, le projet agira en complémentarité avec les services déjà offerts dans les 14 Centres de justice de proximité (CJP) au Québec, en renforçant leur portée et leur impact sur le terrain.
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