Définir la proximité : un exercice important pour mieux répondre aux besoins juridiques des communautés

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Depuis bientôt 15 ans, les Centres de justice de proximité (CJP) se positionnent comme des acteurs importants en accès à la justice dans le paysage juridique québécois. Grâce à notre expérience terrain, nous avons développé, au fil des années, une expertise reconnue dans le domaine de la justice de proximité. Les interventions des avocats.es et notaires travaillant dans nos Centres permettent de favoriser un accès simplifié aux ressources juridiques, autonomisent les personnes qui viennent les consulter et permettent d’agir souvent en prévention des problèmes juridiques.

Afin d’amplifier notre champ d’action pour mieux répondre aux besoins de certaines communautés qui se heurtent à diverses barrières dans l’accès à des services juridiques, le réseau des CJP a récemment lancé Juristes mobiles : une recherche-action en justice de proximitéafin de tester des approches mobiles en matière juridique.

Ce projet représente une occasion unique de réfléchir à la notion de proximité afin de nous assurer que les approches mises en place répondront aux besoins des communautés ciblées. Nous souhaitons donc développer un cadre d’analyse pour nous permettre d’optimiser nos interventions en proximité auprès des personnes que nous rencontrerons dans le cadre de ce projet.

Pour ce faire, nous avons réalisé une revue de la littérature sur la notion de proximité.

Dans un premier temps, nous avons consulté les écrits sur ce sujet dans le domaine du droit et cet article vise à exposer l’état de ces premières lectures.

Un cadre théorique de la proximité en droit

Il existe différentes typologies de la notion de justice de proximité1. Sans prétendre à l’exhaustivité, le présent article vise à survoler certaines des grandes dimensions de la proximité en matière de justice qui ressortent des lectures.

Proximité participative

La proximité participative accorde une place centrale à la personne, ce qui favorise un droit négocié et adaptable plutôt qu’imposé par une autorité. Elle favorise des approches de justice plus flexibles et décentralisées. Les personnes participent donc activement à l’élaboration et à l’application des normes, avec les professionnels agissant en tant qu’alliés et soutien. Ce modèle encourage la collaboration et la coordination entre les acteurs du système pour améliorer la justice et la rendre plus accessible et efficace2

Proximité réflexive

La proximité réflexive repose sur la participation et la coopération, en mettant l’accent sur la rétroaction entre les acteurs, les contextes et les normes. Les expériences de vie des justiciables enrichissent l’approche des professionnels, transformant les rôles pour une compréhension mutuelle. Chaque interaction nourrit à la fois la personne et le professionnel du droit qui échangent mutuellement de leurs savoirs, le tout dans un processus d’apprentissage circulaire3

Proximité processuelle

La proximité processuelle examine la souplesse et le caractère équitable des procédures et processus permettant la participation effective des personnes dans la recherche d’une solution à leur différend4. Cette proximité englobe diverses formes de procédures et de processus de consultation, de délibération, de participation, de prévention et de règlement des différends (PRD), etc.5 qui visent à rapprocher les justiciables de la justice6 en allégeant et en simplifiant les procédures administratives. La flexibilité des horaires et le recours aux modes de PRD7 et leur promotion sont des exemples d’éléments qui caractérisent cette proximité.

Proximité structurelle 

La proximité structurelle examine les structures8. Il est essentiel d’adapter les institutions pour mieux répondre aux besoins des justiciables. Les structures doivent être souples et adaptées aux divers contextes afin d’intégrer pleinement les personnes dans le processus décisionnel. La décentralisation permet aux organismes locaux, plus adaptés et flexibles, de gérer les cas dans un souci d’efficacité.  L’objectif est de créer des structures qui soient plus proches du quotidien des personnes, accessibles et mieux adaptées à leurs réalités, tout en portant une attention à l’encadrement des processus de réflexivité et d’apprentissage9.

Proximité territoriale 

La proximité territoriale vise à rapprocher physiquement la justice des personnes. Cela nécessite la décentralisation des services judiciaires pour les amener dans les espaces fréquentés par la population, favorisant un accès plus direct et communautaire à la justice10.

Proximité temporelle

La proximité temporelle concerne la rapidité et l’efficacité des services judiciaires. Cela nécessite de réduire les délais de résolution des conflits et les coûts pour garantir l’effectivité des droits tout en assurant une justice transparente et accessible, sans toutefois sacrifier la qualité des décisions rendues11.

D’autres auteurs ont posé des catégories différentes ou regroupé ces notions différemment. Il ne s’agit là que d’un condensé des nombreux écrits qui existent sur la question.

Une catégorisation des entités

Nous tenons néanmoins à traiter d’une autre forme de catégorisation, développée par les chercheurs Professeur Pierre Noreau et Alexandra Pasca. Celle-ci décline la justice dite de proximité sous la forme de trois grands modèles regroupés en fonction de leurs missions et de leurs fonctions principales afin de permettre de distinguer les différents organismes qui favorisent la mise en relation entre les justiciables et le système de justice traditionnel.

Ces entités adoptent une approche multidisciplinaire pour offrir des services juridiques adaptés aux besoins concrets des personnes. Les diverses dimensions propres à chaque situation sont prises en considération, pour une réponse plus complète et intégrée12Les trois modèles sont donc :

1. Guichet juridique

Modèle qui comprend des institutions et des organismes dont le rôle est principalement de prévenir et de référencer. Les organismes qui correspondent à ce modèle fournissent des informations juridiques de diverses façons afin d’aider les personnes et les dirigent vers les ressources appropriées. Ils aident en renseignant les personnes sur les formulaires nécessaires pour les tribunaux et parfois en les remplissant avec elles.
Modèle de conciliation juridique et sociale qui utilise les services de soutien aux citoyens et les modes amiables de résolution de conflits pour réduire la récidive et renforcer la confiance des personnes à l’égard du système judiciaire. L’approche de ce modèle est plus holistique et communautaire. On y adopte une conception élargie de la justice.

3. Multifonctionnel

Modèle qui combine une variété de services, notamment de l’information, du conseil et de la médiation tout en prenant des initiatives pour réformer le système de justice et les politiques publiques qui touchent le domaine juridique. La mission est donc multidimensionnelle puisqu’elle est à la fois préventive, référentielle, conciliatrice, politique et réformatrice. Les organismes et les centres qui correspondent à ce modèle œuvrent régulièrement en partenariat avec diverses institutions qui peuvent être judiciaires ou non.

Ces modèles sont complémentaires et offrent une gamme croissante de services et d’interventions. L’objectif ne se limite pas uniquement à remédier aux problématiques de nature juridique puisque l’approche adoptée est multidisciplinaire. L’objectif est d’apporter une solution plus globale et une réponse plus adaptée13.

Cette revue de littérature sur la notion de proximité en matière de justice nous a permis d’avoir une meilleure idée de multiplicité des dimensions qu’elle implique.

L’approche du projet de recherche-action s’inspire du modèle du travail de proximité, largement répandu et reconnu en intervention sociale. Nous jugeons donc pertinent d’élargir nos recherches à d’autres domaines afin de compléter notre compréhension du concept. Cela nous permettra d’agir en réelle adéquation avec les besoins des communautés qui seront ciblées par les approches du projet.
Nos prochains articles de la série exposeront l’état de nos lectures dans d’autres champs de recherche. Restez à l’affût de nos prochaines publications !

Notes de bas de page

  • 1 Voir notamment Bernatchez, S., S. Comtois et al., La justice de proximité : des transformations en matière d’accès à la justice vues sous l’angle de la gouvernance, Les Cahiers de droit, volume 62 numéro 2, 2021, pp. 339–404, en ligne : . https://doi.org/10.7202/1077694ar; De Montalivet, P., « La proximité et la gouvernance : un enrichissement réciproque », dans Stéphane Bernatchez (dir.), La Gouvernance de Proximité : usages et sens pour le droit, Sherbrooke, Les Éditions Revue de Droit de l’Université de Sherbrooke, 2021, pp. 15-36 ; Noreau, P. et A. Pasca, Les grands modèles de justice de proximité : bilan d’une nouvelle pratique juridique, Revue générale de droit, volume 44, numéro 2, 2014, pp. 305–351, en ligne : https://doi.org/10.7202/1028138ar ; Zwickel La juridiction de proximité française comparée avec le droit allemand. Véritables tribunaux de paix ou simples moyens de désengorger la justice ?, Revue internationale de droit comparé, volume 63, numéro 3, 2011, pp. 609-642, en ligne : La juridiction de proximité française comparée avec le droit allemand. Véritables tribunaux de paix ou simples moyens de désengorger la justice ? – Persée ; Bastard, B. et P. Guibentif, Justice de proximité : la bonne distance, enjeu de politique judiciaire, volume 66, Droit et société, volume 66, 2007, pp. 267-274, en ligne : https://shs.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2007-2-page-267?lang=fr.
  • 2 Bernatchez, Comtois et al., supra note 1 aux pp. 367, 368 et 393.
  • 3 Ibid aux pp. 368-369.
  • 4 Zwickel supra note 1 à la p. 624 ; Bernatchez, Comtois et al., supra note 1 aux pp. 383-384.
  • 5 Bernatchez, Comtois et al., supra note 1 à la p. 369.
  • 6 Zwickel supra note 1 à la p. 624 ; Bernatchez, Comtois et al., supra note 1 à la p. 383.
  • 7 Ibid aux pp. 376 et 382.
  • 8 Zwickel supra note 1 à la p. 611.
  • 9 Bernatchez, Comtois, et al., supra note 1 aux pp. 369, 370 et 379.
  • 10 Ibid à la p. 370.
  • 11 Zwickel, supra note 1 à la p. 637 ; Bernatchez, Comtois, Fortin, Rousseau et Desjardins, supra note 1 à la p. 370.
  • 12 Noreau et Pasca, supra note 1 à la p 308 et 309.
  • 13 Ibid aux pp. 308, 309, 312, 313, 315, 316, 321, 322, 336 et 338.